C'est un jeune qui vit dans la rue.
Je me souviens très bien du moment où j'ai écrit l'intrigue l'entourant. Je voulais qu'en lisant son histoire, le lecteur soit touché et en arrive à penser que ça pouvait être son frère, son fils, son meilleur ami qui vivait cette situation. Je voulais qu'on ait envie de lui jaser, de lui offrir un café ou au moins de lui sourire.
À cet époque, j'écrivais régulièrement dans un café de la rue Ste-Catherine. Ce jour-là, je doute. J'ai travaillé avec beaucoup de jeunes, mais rarement avec des jeunes marginaux. Ce que j'en savais m'avait été raconté par d'autres intervenants. Mais comme l'écriture, ce n'est pas juste une question d'expérience, j'ai puisé dans mes impressions, mes images et mes quelques interactions avec eux.
Et j'ai écrit durant de longues heures, imaginant un de mes enfants vivant dans la rue... imaginant le grand câlin que je lui ferais si je le retrouvais.
En sortant du café, je croise un jeune qui quêtait au coin de Papineau et Ste-Catherine. Il me regarde en souriant, me tend la main. Je lui souris et fais non de la tête. Il insiste :
- T'as l'air fine tu pourrais m'inviter à souper!
- Faut que j'aille faire souper les enfants.
- Un câlin d'abord!
En plein milieu du trafic, je l'ai pris dans mes bras, longuement, comme si je serrais un de mes enfants. Ça nous a fait du bien à tous les deux.
Extrait - Comme des lucioles dans le vent (Feemo)
Leur regard se croise à nouveau et Fred sourit. Ça lui était arrivé souvent de croiser dans la rue ces adolescents qui sur un coup de tête quittent la maison et sont trop tête dure pour y retourner. La rue finissait par briser et détruire la dernière parcelle d’innocence et d’espoir qui tant bien que mal survivait au fond d’eux. Feemo, ne faisait pas exception, malgré une certaine assurance. Mais Fred avait trop vu cette carapace faites de peur et de colère, pour ne pas savoir que sous ses air, se cachait un enfant mort de trouille. Il ne saurait sûrement jamais pour quelle raison le gamin s’était retrouvé tailladé dans la ruelle derrière l’hôpital, mais il était certain que ça ne serait pas la dernière fois.
Richard, un travailleur de rue, lui avait dit une fois : « Mon Fred, ces jeunes finissent par croire dur comme fer à la personnalité qu’ils se forgent dans la rue pour survivre, qu’ils en oublient leurs rêves, leur avenir, leur âme. Se sont des fantômes. Les squelettes que l’on cache dans les placards à l’abri du commérage. Mais la nuit, ils hantent la ville, corps sans âme. Sac de peau en liberté. »
- Ya pas de quoi mon petit gars. Fais attention à ta peau quand tu sortiras. Et si tu as un bobo à soigner, je suis ici toutes les fins de semaine jusqu’à six heures du soir, n’hésite pas, lance Fred accoté dans le cadre de porte.
- Peace, man!, murmure Feemo, deux doigts levés en signe de paix et de respect.
À part avec Chantal, c’était la première fois que Feemo ne se sentait pas comme un corps vide avec l’envie pressante de fuir. Plusieurs fois, il en avait eu marre de la rue. Mais où serait-il allé? À la maison? Un autre endroit où il fallait prétendre que tout allait bien et qu’on était au-dessus de ses affaires. Au moins dans la rue, c’était clair. Il savait à quoi s’attendre et savait ce qu’on attendait de lui. Sourire, offrir son corps et ramasser le cash, et surtout, surtout fermer sa gueule. Dans une vie antérieure, il s’appelait François Morin. Aujourd’hui il était Feemo, un bout de plasticine colorée, malléable et sans âme.
Avec respect!
ML
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