lundi 17 septembre 2007

Mimiansa - le souffle de vie

Petite incursion dans le roman Lorsque le fond de la mer a tremblé. Voici donc un premier extrait de ce fameux roman qui m'habite depuis maintenant plus d'un an. Je vous présenterai au fil du temps les différents personnages qui le compose. Aujourd'hui je vous invite à découvrir Mimiansa qui apparait assez tard dans l'histoire, malgré une mention très brève au début. Elle a environ huit ans et est la fille d'une Mamé (sage femme et guérisseuse) très respectée. Elle est un point central de l'histoire alors qu'elle sauve la vie d'un des personnages principaux. J'aime beaucoup les personnages d'enfants qui offrent la possibilité de beaucoup de lucidité et de clarté. (Note technique: Ama veut dire maman dans la langue de Mimiansa.)

Pour une raison inconnue, Mimiansa avait survécu au massacre de son village. Elle avait attendu que la nuit arrive, terrée dans les fougères, son corps minuscule disparaissant, invisible aux regards.

Elle avait courut en silence pour effacer dans le vent le regard vide de sa Mamé et l’image de son ventre ensanglanté. Elle avait courut. Elle avait bouché ses oreilles pour ne pas entendre les hurlements de toutes les Amas que l’on éventrait. Elle avait fermé les yeux pour ne pas voir les enfants écartelés au sol, ni les autres que l’on abattait en leur tirant dans le dos, alors qu’ils tentaient de s'enfuir.

Après deux jours de marche, Mimi avait trouvé une petite maison invisible de la route. Un abri sans personne, que l’on avait du fuir en toute hâte. Elle y avait fait son nid, trouvant à manger des racines et des champignons comestibles et furetant dans le jardin abandonné pour y trouver quelques légumes. La rivière toute proche lui fournissait de l’eau. Après quelques jours, elle y avait vu des corps flotter à la surface. Immobile et silencieuse, la première fois, elle n’y avait plus fait attention. Il n’y avait que des morts. Des morts, partout.

Sauf ce matin, ou un camion s’était arrêté pour jeter un paquet sur le bord de la route. À l’intérieur des hommes hurlaient, tirant des balles de mitraillette en l’air. Mimi s’était cachée dans un trou, recouvert de planches, qu’elle avait creusé derrière la maison. Juste au cas où elle n’aurait pas eu le temps de s’enfuir. Le camion était partit. Mimi avait attendu longtemps avant de sortir de sa cachette et aller voir ce que c’était. Ce n’était pas de la nourriture. Encore un mort. Il n’y avait que ça. Sur le point de rebrousser chemin, elle avait entendu un râle sortir de la masse inerte. Et un deuxième. Sans bruit, elle s’était approchée. Le mort avait ouvert les yeux un instant.

- Déhana! Déhana, avait-il murmuré juste avant de perdre conscience.

Mimi connaissait Déhana. Mamé avait une statue bien en évidence dans la chambre commune. Déhana était la terre, la Mère nourricière, celle qui faisait germer les bébés dans les ventres. C’était aussi elle qui s’occupait des bébés qui ne voulaient pas avaler le souffle de vie. Elle les enveloppait de sa membrane de terre noire et avec le soleil et la pluie, elle les transformait en lumière. Ainsi, il pouvait revenir à l’intérieur d’un ventre sans avoir peur du noir.

Mimi souleva l’homme par les épaules. Fiévreux, il était blessé à plusieurs endroits. Des plaies béantes, d’où le sang avait séché, lacéraient son dos et ses mains. Il n’avait pas de chemise et son pantalon était en lambeaux. Trop lourd pour elle, elle réfléchit à la façon de le conduire à l’intérieur. Derrière la maison, il y avait une vieille brouette qu’elle avait utilisé pour rapporter un sac de farine de maïs qui traînait abandonné. Le soleil était haut dans le ciel et l'atmosphère devenait de plus en plus lourde. Elle devait faire vite.

Ramenant la brouette près du corps, elle s’y prit à plusieurs reprises pour le hisser à l'intérieur. Le pousser dans le champ et les herbes hautes, lui arracha des gémissements tellement il était lourd. Elle tomba deux fois et faillit tout abandonner. Le soleil implacable plombait sur eux, alourdissant les gestes et les efforts.

Mimi arriva enfin à le coucher sur une paillasse dans le fond de la cabane. Épuisée, elle se retint de hurler. Après avoir vu ses parents être assassinés, frappés à coup de machettes, cet homme blessé qui respire encore est sa planche de salut. Le faire boire, nettoyer ses plaies, appliquer un onguent de feuilles comme sa Mamé le lui a montré, pour guérir les maux de la peau.

Jour après jour, nuit après nuit, veiller la vie qui s’accroche. Veiller jusqu’au premier réveil, jusqu’au premier instant où ses yeux s’ouvriront, comme le premier regard de l’enfant qui vient de naître. Un nouveau-né qui hurle sa faim d’un cri déchirant. Mamé l’avait souvent amené avec elle pour lui montrer comment sortent les bébés du ventre de leur Ama. Elle avait appris aussi à les nourrir pour qu’ils deviennent grands et forts. Elle ferait la même chose pour l’homme.

Elle lui souffla dans la bouche le souffle de vie comme tant de fois elle avait vu Mamé le faire avec les bébés. Mais aujourd’hui c’était elle la Mamé, la donneuse de vie.


La longue veille commença.

Jour et nuit, elle lui donna du lait de chèvre mélangé à de la poudre de maïs. Ce sac de maïs qu’elle avait trouvé, éventré, sur le bord de la route. Tout comme la chèvre errante, penchée au-dessus d’elle un matin à l’aube. La chèvre qui l'avait trouvé et avait gardé Mimi en vie.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Très intéressant merci!!!

Marie-Laure Landais a dit…

Merci beaucoup! N'hésite pas à revenir!

Anonyme a dit…

Je reviendrai, promis ;)